jeudi 24 février 2011

23 Bachelard, le conflit cognitif...et le transfert.

Dans le message numéro 20, j'évoquais la journée que j'ai passée récemment avec les professeurs d'un établissement secondaire de Gironde. Avec ce groupe important, j'avais travaillé autour des représentations des élèves et de la manière de les faire évoluer afin qu'ils corrigent un certain nombre de leurs erreurs relatives à leur manière d'appréhender le travail scolaire. J'avais utilisé le protocole que je décris en détail dans le message numéro 19. Amusé par la coïncidence, le professeur de philosophie m'a montré le texte qu'il venait de soumettre à la réflexion de ses élèves lors d'un devoir sur table. Il s'agissait d'un extrait de « La formation de l'esprit scientifique » de Gaston Bachelard. Dans ce texte le philosophe exprime en quelque sorte le fond de sa pensée concernant l'obstacle à la connaissance que représentent les conceptions préalables à l’apprentissage que toute personne forme inconsciemment sur le sens de son environnement. N'oublions pas qu'Antoine de la Garanderie s'est inspiré du même auteur dans son  premier ouvrage consacré à sa recherche sur l'accès à la connaissance, « Les profils pédagogiques ». Cette filiation revendiquée autorise à poursuivre dans le même sens. Voici le texte en question :

« Dans l’éducation, la notion d'obstacle pédagogique est également méconnue. J'ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c'est possible, ne comprennent pas qu'on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie de l'erreur, de l'ignorance et de l’irréflexion. [... ] Les professeurs de sciences imaginent que l'esprit commence comme une leçon,[…] qu'on peut faire comprendre une démonstration en la répétant point pour point. Ils n'ont pas réfléchi au fait que l'adolescent arrive dans la classe de physique avec des connaissances empiriques déjà constituées : il s'agit alors, non pas d'acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne. Un seul exemple : l'équilibre des corps flottants fait l'objet d'une intuition familière qui est un tissu d'erreurs. D'une manière plus ou moins nette, on attribue une activité au corps qui flotte, mieux au corps qui nage. Si l'on essaye avec la main d'enfoncer un morceau de bois dans l'eau, il résiste. On n’attribue pas facilement la résistance à l'eau. Il est dès lors assez difficile de faire comprendre le principe d'Archimède dans son étonnante simplicité mathématique si l'on n'a pas d'abord critiqué et désorganisé le complexe impur des intuitions premières. En particulier sans cette psychanalyse des erreurs initiales, on ne fera jamais comprendre que le corps qui émerge et le corps complètement immergé obéissent à la même loi. »

Gaston Bachelard, La formation de l'esprit scientifique, © Vrin, 1938 (pp. 16 - 19)

Il n'y aurait pas beaucoup de choses à changer dans ce texte pour l'adapter à notre domaine de l'accompagnement de l'apprentissage scolaire et à l'obstacle pédagogique constitué par les connaissances empiriques déjà constituées dans l'esprit des élèves à propos de leurs actes de connaissance . Avec cet éclairage tout à fait « autorisé », on comprend mieux (et pas seulement les professeurs de sciences...) que les élèves ne comprennent pas aussi facilement qu'on le souhaiterait ce qu'ils doivent faire pour faire attention, mémoriser, comprendre, réfléchir et même imaginer. Et encore moins lire ou communiquer par écrit...

Si l'on ne prend pas le temps avec eux de critiquer et désorganiser ce complexe impur de (leurs) intuitions premières, et même si sur le moment ils semblent acquis à nos démonstrations, le naturel revient très vite au galop : leurs anciennes et mauvaises habitudes, fruits de leurs « détestables » intuitions premières, ne tardent pas à reprendre le dessus. Il s'agit ni plus ni moins du problème du transfert des acquisitions « méthodologiques » de nos élèves, tel que l'on déplore qu'ils n'arrivent pas à le réaliser après notre intervention, pas plus ponctuellement qu’en stages de plus longue durée. C'est là tout l'enjeu de notre accompagnement comme je me suis efforcé de le faire valoir dans « Accompagner... ». Je reviendrai plus en détail sur cette épineuse question du transfert. Bonnes vacances à tous !

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