Apprendre à comprendre. Voyage dans l’univers du
sens.
Je rentre d’un stage sur la
compréhension approfondie avec les élèves de seconde que j’accompagne dans des
stages répartis au long de l’année. Je mesure une fois de plus combien ces
jeunes sont démunis vis-à-vis d’une activité aussi importante que la
compréhension.
On pense généralement que
la compréhension est une faculté très complexe liée à l’intelligence, et que
comme cette dernière, elle n’est pas donnée à tous de la même façon et surtout qu’elle
ne s’apprend pas. On comprend ou on ne comprend pas, c’est tout ! Lorsqu’un
élève ne comprend pas, ses professeurs ou ses proches, et bien sûr lui-même,
commencent à douter de son intelligence : «
Il rencontre ses limites… ! » dira-t-on avec résignation. Et pourtant il n’en
est rien. Comprendre peut s’apprendre comme tout le reste. Reste à savoir
comment, et c’est vrai que ce n’est pas une mince affaire. Voici le récit de ce
dernier stage et la façon dont les élèves ont réagi à mes propositions.
Mais tout d’abord il faut
se rappeler que lorsque l’on propose des méthodes de travail inspirées de la
gestion mentale, il faut se garder de plaquer des modèles qui viendraient de
l’extérieur, comme imposés par quelque autorité. Voici ce qu’en dit Antoine de la
Garanderie dans Plaisir de connaître, Bonheur d’être, Une pédagogie de
l’accompagnement, Chronique Sociale, 2004, page 46 – 47 (c’est moi qui
souligne quelques expressions et en rajoute quelques autres en italique) :
« Il y a donc deux
missions pour l’enseignant (ou le
formateur) :
-
faire
découvrir à l’élève la qualité de l’acte cognitif dont
il a fait usage à son insu pour qu’il lui soit rendu présent,
-
lui proposer des actes
cognitifs dont il n’a jamais pensé qu’ils pouvaient être à sa disposition, l’aider
à faire ces actes vraiment siens, afin qu’il vive la teneur de plaisir qui les
habite. C’est, en effet, en l’invitant à les mettre en œuvre qu’il en saisira
les qualités épanouissantes et, en même temps, révélatrices du sens qu’il a à
leur donner pour qu’ils atteignent leur fin.
Nous estimons que l’enseignant aura beaucoup à insister,
car l’élève en situation d’échec ou de sentiment de doute à l’égard de ses
capacités est très, très loin de lui-même et de pouvoir imaginer qu’il en
recèle ; (nous estimons) qu’il
faudra du temps non pour le convaincre car ce n’est pas de cela qu’il s’agit,
mais pour qu’il consente à se reconnaître dans les actes qui ont à être les
siens. L’enseignant est en effet tenté de penser que l’éclairage donné, le
conseil proposé devrait avoir des effets immédiats… Il n’en sera rien. L’élève
a pris l’habitude d’aller chercher dans les lointains de quelque transcendance
des potentialités qui sont, en fait, trop proches de lui pour qu’il les voie !
Le travail qui est demandé à l’enseignant est d’une autre forme que celui
auquel il s’est accoutumé : rapprocher l’élève des capacités qu’il possède à
son insu… lui permettre d’apprendre ce qu’intuitivement il a les moyens de
réaliser.
Ce n’est pas un placage de modèle que l’enseignant a
à déployer… c’est à puiser dans l’intelligence de sa propre intériorité les
propositions que l’élève aura à s’adresser à lui-même ! L’enseignant a à décrire l’acte de connaissance tel que la conscience du moi vivant a à
l’inscrire pour que la chose prenne sens en elle. L’élève peut commencer par penser
qu’il n’est pas en mesure d’accomplir cet acte si simple. La suggestion qui
lui est faite, il la ressent comme n’étant pas susceptible d’apporter la
réponse à ses échecs : "ce n’est pas cela qui me permettra de comprendre… la
règle de trois !" La pensée de l’élève que la conscience de l’échec assiège
est la proie d’arguments négatifs qui le détournent de la prise en compte des
moyens cognitifs et positifs dont il dispose naturellement et donc il n’imagine
pas qu’ils sont ceux grâce auxquels, à l’avenir, il connaîtrait le plaisir de
comprendre. »
Loin, donc, d’un plaquage de
modèle, l’apprentissage de la compréhension doit passer par "l'épreuve par soi", par l’expérience
personnelle de l’élève qui doit reconnaître "ce qu’intuitivement il a les
moyens de réaliser" et, s’il ne l’a déjà fait spontanément mais inconsciemment, qu’il pourrait mettre au service de son travail
scolaire. Il peut ensuite s’inspirer des témoignages de ses
camarades et des descriptions qu’on peut lui faire, pour aller au-delà de ses
capacité naturelles et acquérir des moyens auxquels il n’aurait pas pensé pour
parfaire sa compréhension. Mais il y aura des obstacles à surmonter car l’élève
commencera bien souvent « par penser qu’il n’est pas en mesure d’accomplir cet
acte si simple ». Il faut donc ménager une progression qui permette à l’élève non
seulement de prendre conscience
-
de ce qu’il
fait déjà lui-même, "intuitivement", dans sa tête pour comprendre (bien qu’il ne l’utilise pas
forcément à l’école),
- mais aussi de ce qu’il
pourrait faire et qu’il ne se connaissait pas,
-
tout en surmontant la croyance qu’il ne pourra pas y arriver.
Voir le détail du contenu du stage sur la compréhension dans le message 95 - Comprendre "comme un pro". Troisième stage en Seconde de méthodologie.
Un grand chamboulement intérieur.
Ce stage a débuté par un bilan de l'état actuel des élèves vis-à-vis des acquisitions méthodologiques travaillées depuis Septembre, soit les étapes de Pégase (être attentif, comprendre au premier niveau, mémoriser ce que j'apprends, réfléchir et réutiliser mes connaissances, exprimer ma pensée correctement à l'écrit ou à l'oral). Puis j'ai introduit le travail des journées suivantes autour de cette question : « Pour réaliser tout cela le mieux possible, comment faudrait-il dès le départ que je comprenne de façon plus approfondie ce que j'apprends ? »
A suivi l'habituel débat autour de la question : « Où est le sens ? ». La plupart des élèves ont répondu sans hésitation, : « En nous ! ». Cette croyance justifie les expressions inexactes : « Donner du sens… Faire du sens… » En réalité, le sens réside dans les choses que nous nous efforçons de comprendre, dans le monde qui nous entoure, dans les situations que nous vivons, et bien sûr dans les objets scolaires que nous apprenons. Mais si le sens est hors de nous, il nous appartient, nous les êtres humains, d'aller le chercher, de nous efforcer de le conquérir pour le combiner avec celui nous avons déjà constitué en nous : c'est ce qu'on appelle "comprendre". C'est dans l'interface dehors/dedans, dans l'interaction du sujet comprenant et de l'objet de sens à comprendre que se joue notre accès au sens. Pour cela la nature nous a dotés des « outils intellectuels intérieurs » (A. Jacquard) nécessaires, et ce sont eux que nous utilisons lorsque nous cherchons à comprendre. Ce sont ces "outils" que le reste du stage a proposé à ces jeunes d'abord de découvrir en eux-mêmes, puis de perfectionner pour les porter à leur meilleur niveau d'efficience.
Tout d'abord, j’ai introduit les notions de compréhension appliquante et expliquante, cette dernière à l’aide de la fiche trouvée sur le blog d’Azraelle (azraelle.eklablog.com/m-devant-m-b-p-a127198034#comment-87086090) dont j’ai déjà fait état dans mon message 115 - Compréhension expliquante : une fiche de grammaire originale et stimulante !
A suivi l'habituel débat autour de la question : « Où est le sens ? ». La plupart des élèves ont répondu sans hésitation, : « En nous ! ». Cette croyance justifie les expressions inexactes : « Donner du sens… Faire du sens… » En réalité, le sens réside dans les choses que nous nous efforçons de comprendre, dans le monde qui nous entoure, dans les situations que nous vivons, et bien sûr dans les objets scolaires que nous apprenons. Mais si le sens est hors de nous, il nous appartient, nous les êtres humains, d'aller le chercher, de nous efforcer de le conquérir pour le combiner avec celui nous avons déjà constitué en nous : c'est ce qu'on appelle "comprendre". C'est dans l'interface dehors/dedans, dans l'interaction du sujet comprenant et de l'objet de sens à comprendre que se joue notre accès au sens. Pour cela la nature nous a dotés des « outils intellectuels intérieurs » (A. Jacquard) nécessaires, et ce sont eux que nous utilisons lorsque nous cherchons à comprendre. Ce sont ces "outils" que le reste du stage a proposé à ces jeunes d'abord de découvrir en eux-mêmes, puis de perfectionner pour les porter à leur meilleur niveau d'efficience.
Tout d'abord, j’ai introduit les notions de compréhension appliquante et expliquante, cette dernière à l’aide de la fiche trouvée sur le blog d’Azraelle (azraelle.eklablog.com/m-devant-m-b-p-a127198034#comment-87086090) dont j’ai déjà fait état dans mon message 115 - Compréhension expliquante : une fiche de grammaire originale et stimulante !
À la fin de la journée les
élèves étaient dans un état de grand trouble manifesté par un comportement
inhabituellement agité de certains d’entre eux. Je savais qu’il traduisait le grand
chamboulement intérieur qu’ils vivaient, et que plusieurs ont pu exprimer à
peu près ainsi : « Je me rends
compte que depuis l’école primaire j’ai pris l’habitude d’apprendre sans chercher
à comprendre. J’aurais tellement aimé connaître le pourquoi de ce que je devais
appliquer ! ». Cela en effet a de quoi provoquer quelques rancœurs rétroactives, et le constat de leur « anesthésie
intellectuelle » (apprise) était quasi insupportable pour beaucoup. Jusqu’à en vouloir à
celui qui leur avait révélé cet état en leur ouvrant une perspective «aveuglante» sur la recherche du sens, désormais de leur seule responsabilité.
Platon à la rescousse.
Le lendemain matin, j’ai
proposé aux élèves un temps de relecture de leur ressenti de la veille et je
leur ai proposé de l’analyser à la lumière de l’allégorie de la caverne de
Platon. Ils se trouvaient dans un état comparable à celui des hommes enfermés dans la caverne,
victimes d’une vision déformée et illusoire de la réalité de l’école ainsi que des
mauvaises habitudes de travail que cela avait entraîné. Et voilà que quelqu’un
les appelait à une autre vision de l’apprentissage et à une autre manière
d’apprendre, plus complexe et plus exigeante, sans doute plus efficace et "libérante", mais
aussi très dérangeante par rapport à leur « zone de confort » habituelle. Ils
avaient de quoi, en effet, en vouloir à cet initiateur qui les dérangeait si
fort.
La recherche autonome du sens.
Maintenant, ils étaient
placés devant un choix décisif pour eux : ou bien continuer à avancer dans ce
nouveau monde de la recherche autonome du sens qui s’ouvrait devant eux,
ou bien revenir à leur état antérieur (ou
se laisser rattraper par ce qui les retenait prisonniers jusque-là). Le tour de
table qui a suivi fut d’une profondeur et d’une sincérité peu communes. Seuls
deux élèves ont fait état de leur hésitation à passer la porte de la caverne et
à affronter l’aventure de la recherche du sens…
Dans la « zone proximale de développement ».
Cette prise de conscience
individuelle et collective s’est traduite par un engagement et une maturité
nouvelle dans les exercices qui ont suivi autour du modèle des « 5 questions »
de la compréhension. Ce modèle n’a pas été imposé de l’extérieur par une «autorité
», comme un comportement plaqué de façon artificielle. Nous l’avons construit ensemble
à partir de ce que les élèves reconnaissaient être en capacité de comprendre
déjà par eux-mêmes : les questions qu’ils se posaient spontanément, même si
beaucoup ont cessé -certains depuis très longtemps - de le faire pour les objets
scolaires. Apprendre sans chercher à comprendre n’est pas un comportement
naturel, c’est un « comportement appris » comme on dit en psychologie, comportement
façonné par des années de scolarité où ils s‘étaient interdits (où on les avait
empêchés ?) d’exercer leur capacité naturelle de compréhension, leur recherche
naturelle de sens. Voir message 119 - Quand l’Ecole anesthésie l’intelligence des élèves !
Bien sûr cette capacité naturelle est forcément limitée aux seules questions qu’ils se posent habituellement, à leurs projets de sens naturels, fruit de choix inconscients souvent hérités de l’environnement familial, et qui spécifient leur personnalité cognitive toujours singulière. Le but du jeu était donc de leur montrer non seulement qu’ils avaient le droit de se servir de leurs questions personnelles, mais qu’ils pouvaient aussi s’en poser d’autres auxquelles ils ne pensaient pas (mais que certains de leurs camarades se posaient tout aussi naturellement qu'eux…), et que cela leur ouvrait une qualité de compréhension bien plus large et plus approfondie, couvrant la totalité du sens de ce qu’ils ont à apprendre.
Bien sûr cette capacité naturelle est forcément limitée aux seules questions qu’ils se posent habituellement, à leurs projets de sens naturels, fruit de choix inconscients souvent hérités de l’environnement familial, et qui spécifient leur personnalité cognitive toujours singulière. Le but du jeu était donc de leur montrer non seulement qu’ils avaient le droit de se servir de leurs questions personnelles, mais qu’ils pouvaient aussi s’en poser d’autres auxquelles ils ne pensaient pas (mais que certains de leurs camarades se posaient tout aussi naturellement qu'eux…), et que cela leur ouvrait une qualité de compréhension bien plus large et plus approfondie, couvrant la totalité du sens de ce qu’ils ont à apprendre.
C’est donc à partir de l’existant
et par des mises en situation de difficulté progressive (dans la « zone proximale de développement » de Vigotsky : d’abord avec mon aide,
puis avec les copains en petits groupes, puis seul dans de petits exposés) que le modèle des
cinq questions a été décrit et intériorisé petit à petit par les élèves. Beaucoup d’entre eux ont alors changé
radicalement de comportement vis-à-vis du travail et même vis-à-vis de moi. Je
pense donc avoir atteint mon objectif de les aider à quitter leur état
d’irresponsabilité intellectuelle, inefficace bien que confortable, pour
accéder à celui d’une vraie autonomie intellectuelle dans le travail,
plus risquée et dont les résultats ne se verront qu’au prix d’efforts et de
persévérance de leur part.
Deux témoignages qui
reflètent assez bien la tonalité générale des bilans des élèves.
"Actuellement,
j’ai l’esprit tout chamboulé. Je ne sais plus si dans ce que je faisais avant
tout était mauvais ou si je peux garder certaines choses. Mais une partie de mon
esprit s’est éclairé, j’ai compris certaines choses : se poser les bonnes
questions, avoir un but, que pour comprendre il faut comparer… Merci d’avoir
mis la lumière dans notre potentiel. Je vais essayer d’appliquer cette
gymnastique de cerveau. "
"Ce stage a été le
plus compliqué (très philosophique) mais le plus intéressant ! C’était très instructif
et formateur car pour moi, avant, il n’y avait rien à comprendre à
tout ce que l’on m'apprenait ! L’image de la caverne, l’idée d’en sortir, m’a
beaucoup marquée car ça me fait prendre conscience qu’il faut encore plus
partir à la découverte du monde et éveiller sa pensée. Les 5 questions vont
beaucoup m’aider car j’ai du mal à me faire comprendre à l’écrit et à expliquer
ma pensée. En tout cas, de mettre des mots sur ce qui n’était pas forcément
explicite m’a permis de réaliser que je faisais déjà des choses automatiquement
et d’autres non ! Donc celles que je ne fais pas automatiquement, je vais les
mettre en place pour encore mieux réussir le troisième trimestre. Merci
beaucoup".
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